Arrêt du Conseil d’état en date du 12 février 2020, 5 et 6ème chambres réunies, n°422754
Par un arrêt en date du 12 février 2020, le Conseil d’Etat est venu apporter une précision particulièrement claire quant à la question de l’articulation entre le taux de perte de chance et la détermination du taux d’atteinte permanente de la victime pour la prise en charge par la solidarité nationale des conséquences d’une infection nosocomiale.
En effet, il conviendra de rappeler que l’article L1142-1 II du Code de la Santé Publique dispose que :
« (…) II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire.
Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret ».
L’article L1142-1-1 du même Code dispose que :
« Sans préjudice des dispositions du septième alinéa de l'article L. 1142-17, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale :
1° Les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales ;
2° Les dommages résultant de l'intervention, en cas de circonstances exceptionnelles, d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme en dehors du champ de son activité de prévention, de diagnostic ou de soins ».
La question avait donc pu se poser de savoir si le taux de perte de chance de la victime devait s’appliquer au taux d’atteinte à l’intégrité physique ou psychique de la victime, dont le seuil de 25% permet de déclencher une prise en charge des préjudices de la victime par la solidarité nationale.
Le Conseil d’état, dans cet arrêt du 12 février 2020, vient donc rappeler, d’une part, que le taux d’atteinte à l’intégrité physique ou psychique de la victime, qui doit être supérieur à 25% pour entraîner une prise en charge par la solidarité nationale, s’applique également lorsque l’infection nosocomiale a entraîné pour la victime une perte de chance d’éviter les préjudices mais précise surtout, d’autre part, que le taux d’atteinte à l’intégrité physique ou psychique de la victime se calcule de manière indépendante du taux de perte de chance retenu.
En effet, le Conseil d’état vient préciser que le taux de perte de chance de la victime ne s’applique en réalité que pour déterminer le montant de l’indemnisation de la victime, mais ne s’applique pas pour déterminer au contraire le principe de déclenchement même de prise en charge des préjudices de la victime par la solidarité nationale.
Le Conseil d’Etat retient que « pour l’application des dispositions de l’article L1142-1-1 du code de la santé publique dans l’hypothèse où une infection nosocomiale est à l’origine d’un préjudice constitué d’une perte de chance, le préjudice est indemnisé au titre de la solidarité nationale lorsque le taux d’atteinte permanente à l’intégrité du patient, calculé par la différence entre, d’une part, la capacité que l’intéressé aurait eu très grande probabilité de récupérer grâce à l’intervention en l’absence de cette infection et, d’autre part, la capacité constatée après consolidation du préjudice résultant de l’infection, est supérieur à 25% ».
Cette solution, particulièrement éclairante, semble en réalité venir conforter la volonté du législateur de faire bénéficier, pour les victimes d’une atteinte à leur intégrité physique ou psychique particulièrement importante, d’une prise en charge de leurs préjudices, par la solidarité nationale.
Article publié le lundi 15 juin 2020