Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil Constitutionnel indiquait dans sa décision n° 2015-458 du 20 mars 2015 que la politique de vaccination a pour fonction de « protéger la santé individuelle et collective ».
L’efficacité de cette vaccination dépend de la couverture vaccinale, rapport entre le nombre de personnes ayant un schéma vaccinal complet et le nombre total de personnes qui doivent en bénéficier dans la même population. Selon les maladies infectieuses strictement transmissibles par l’homme, un certain niveau de couverture vaccinale est nécessaire à leur contrôle ou leur éradication. On estime par exemple que la couverture vaccinale de la rougeole doit être de 95% chez les jeunes enfants pour éliminer cette maladie.
L’historique de la politique sanitaire vaccinale retrace une première obligation d’injection prise par les autorités de l’Etat dès 1902, afin de lutter rapidement et efficacement contre la variole. Cette campagne massive et par ailleurs mondialisée a finalement permis d’éradiquer la maladie, conduisant la France à lever l’obligation vaccinale en 1984. Jusqu’aux années 1970 la stratégie d’obligation vaccinale a été maintenue, avec l’assentiment de la population, pour qui la vaccination se faisait l’écho d’une fierté nationale auréolée des découvertes et travaux de Louis Pasteur. Par la suite, la volonté des pouvoirs publics de promouvoir une plus grande autonomie des patients concernant leurs choix relatifs à la santé les a amenés à privilégier, pour les vaccins alors développés, la recommandation plutôt que l’obligation.
Aujourd’hui, l’article L.3111-1 du Code de la santé publique dispose que « la politique de vaccination est élaborée par le ministre de la Santé qui fixe les conditions d’immunisation, énonce les recommandations nécessaires et rend publique le calendrier des vaccinations après avis de la Haute Autorité de Santé ».
A l’appui de données et avis scientifiques, les autorités peuvent opter pour une recommandation ou une obligation. La coexistence de ces deux possibilités a pu, cela étant, créer une certaine confusion. De nombreuses personnes ont pu percevoir dans ce caractère facultatif une absence de gravité erronée et ont alors renoncé à avoir recours à la vaccination en cas de recommandation simple (1). Cette inefficacité relative de la recommandation a ainsi contribué à élargir en 2018 la vaccination obligatoire des enfants âgés de moins de deux ans, ajoutant aux trois vaccins obligatoires contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite, une vaccination obligatoire contre la coqueluche, les infections invasives à haemophilus influenzae de type b, l'hépatite B, les infections invasives à pneumocoque, le méningocoque de sérogroupe C, la rougeole, les oreillons, la rubéole, vaccinations listées à l’article L.3111-2 du Code de la santé publique (2).
La décision de rendre une vaccination obligatoire reste prise selon des impératifs de santé publique actualisés et selon de nombreux critères permettant de cibler les populations à vacciner. Ces critères peuvent aussi bien relever de l’âge comme pour les onze vaccins susvisés, que du bassin géographique à l’instar de l’obligation vaccinale pour les résidents de la Guyane contre la fièvre jaune. Ces critères peuvent également être professionnels. Il en est ainsi de l’obligation vaccinale des professionnels de santé contre l’hépatite B, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite, et plus récemment, aux termes de l’article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, de leur obligation de vaccination contre la Covid 19.
L’adaptabilité de l’obligation de vaccination tient particulièrement compte de la gravité évolutive de la situation sanitaire. La décision de rendre obligatoire une vaccination peut dès lors être prise, suspendue, comme écartée. Ainsi, compte tenu de l’évolution épidémiologique et des connaissances médicales, pour les professionnels de santé, l’obligation de vaccination contre la tuberculose a été suspendue en 2019. Autre exemple récent de suspension, celle de l’obligation de vaccination contre la fièvre typhoïde, prise par décret en mars 2020. Estimée grave mais à risque circonscrit, la vaccination contre la leptospirose n’est quant à elle en conséquence que recommandée et ce pour une catégorie de travailleurs très exposés seulement (3).
L’obligation est par ailleurs strictement encadrée par le Conseil d’Etat qui a enjoint dans sa décision du 8 février 2017 au Ministre de la Santé de saisir les autorités compétentes pour permettre de rendre disponibles des vaccins correspondant aux seules obligations de vaccination, aux fins d’éviter aux patients de recevoir par des injections de vaccins hexavalents des vaccinations seulement recommandées sans leur consentement. Le Conseil d’Etat a précisé par la suite sa position favorable à l’obligation vaccinale, la considérant « justifiée par l’objectif poursuivi d’amélioration de la couverture vaccinale pour, en particulier, atteindre le seuil nécessaire à une immunité de groupe au bénéfice de l’ensemble de la population et proportionnée à ce but ».
Statistiques et comptes rendus épidémiologiques indiquent que l’obligation permet à court terme d’augmenter la couverture vaccinale et de répondre aux exigences et impératifs de santé publique. Les premiers bilans tirés de l’élargissement de la vaccination obligatoire chez le nourrisson indiquent de surcroit une forte adhésion des praticiens et des parents, qui semblent en outre avoir été globalement rassurés par la clarté qu’ont apportée l’uniformisation du calendrier vaccinal et les campagnes de sensibilisations pédagogiques (4).
La politique de vaccination contre la Covid 19 s’inscrit dans cette approche évolutive et mesurée menée par les autorités sanitaires. Elle se heurte cependant à une défiance en germe depuis le début des années 2000 et largement diffusée dans les réseaux sociaux, qui ne présente pas, après analyse, de véracité scientifique probante (5). Cette contestation virtuelle reste relative, des études d'opinion et sociologiques relevant en effet que moins de 20% des français expriment des opinions critiques sur la vaccination obligatoire (6).
La défiance des citoyens s’exprime également lors des manifestations répétées sur l’ensemble du territoire depuis l’annonce de la mise en place d’un « pass sanitaire », qui ne constitue pas en lui-même une obligation vaccinale stricte. Une première enquête sociologique de terrain réalisée lors de la quatrième manifestation anti « pass sanitaire » en août dernier met en évidence une critique de notre système politique bien au-delà de la seule question vaccinale et énonce d’après les premiers résultats « une crainte accusatoire de dérive liberticide générale et quasi-dictatoriale de la gouvernance étatique », selon les termes de ladite enquête (7).
A cette problématique juridique d’atteinte aux libertés et droits fondamentaux par la vaccination obligatoire, la Cour européenne des droits de l’Homme a apporté une réponse très claire dans son arrêt du 8 avril 2021 n°47621/13 Vavricka et autres c. République tchèque, arrêt de Grande Chambre rendu après intervention de quatre États tiers, dont la France. Le litige concernait l’obligation vaccinale infantile et les sanctions afférentes prises par les autorités sanitaires tchèques. La Cour souligne dans sa décision le « besoin social impérieux » apprécié souverainement par les autorités nationales et la « proportionnalité raisonnable » de l’atteinte à l’intégrité physique et l’ingérence dans la vie privée des enfants que constitue la vaccination obligatoire infantile. La notion d’intérêt supérieur de l’enfant relève dans ce contexte d’une notion de groupe au-delà de l’intérêt individuel.
Siégeant en formation de Chambre de sept juges, la Cour s’est à nouveau positionnée en faveur de l’obligation vaccinale le 21 août 2021, rejetant les demandes enregistrées le 19 août 2021 sous le numéro de requête 41950/21 Abgrall et 671 autres c. France de mesures provisoires introduites par des sapeurs-pompiers français invoquant le droit à la vie et le droit au respect de la vie privée et familiale à l’appui de leur demande de suspension de l’obligation vaccinale à titre principal et de suspension de l’interdiction d’exercer leur activité et de percevoir des rémunérations à titre subsidiaire. La Cour précise dans cette décision ne faire droit « aux demandes de mesures provisoires qu’à titre exceptionnel, lorsque les requérants seraient exposés - en l’absence de telles mesures - à un risque réel de dommages irréparables ».
Il apparait ainsi que les juridictions nationales et européennes ont tranché en faveur de l’obligation vaccinale, en cas de nécessité sanitaire.
Références citées dans cet article
(1) E. Nicand et E. Debost, « Obligation vaccinale : pourquoi le changement de législation de la politique vaccinale chez le nourrisson en 2018 ? ».
(2) Discours d'Agnès Buzyn relatif à la vaccination obligatoire, le 5 juillet 2017 - Ministère des Solidarités et de la Santé.
(3) Avis du CSHPF relatif aux Recommandations pour la prévention de la leptospirose en population générale, séance du 30 septembre 2005.
(4) F. Béguin « Le nombre de nourrissons vaccinés est en hausse », 18 avril 2019, lemonde.fr ; Le calendrier des vaccinations p.8, solidarites-sante.gouv.fr. ; Bulletin de santé publique édition nationale avril 2019.
(5) Ward, Jeremy K., et Patrick Peretti-Watel. 2020. « Comprendre la méfiance vis-à-vis des vaccins : des biais de perception aux controverses ». Revue française de sociologie Vol. 61 (2): 243‑73. ; https://www.nature.com/articles/s41590-019-0488-9.
(6) http://www.odoxa.fr/sondage/les-francais-sont-desormais-favorables-a-la-vaccination-obligatoire ; Défiance vaccinale : Une situation catastrophique ? Inserm, La science pour la santé.
(7) N. Lebourg. 2021. « Enquête sociologique : Manifestant anti-pass de Perpignan, qui êtes-vous ? » Made in Perpignan (blog). 6 août 2021. https://madeinperpignan.com/enquete-sociologique-manifestant-anti-pass-de-perpignan-qui-etes-vous.
Article publié le vendredi 24 septembre 2021