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Responsabilité des professionnels de santé en cas d’oubli dans le corps d’un patient

1) La responsabilité des professionnels de santé en cas d’oubli d’un corps étranger (aiguille, compresse…) dans le corps d’un patient

« Un chirurgien oublie une pince dans le ventre d'une jeune maman » écrivait le journal Le Parisien (1). Ce genre de gros titres inquiétants a pu fleurir dans les rubriques faits divers de la presse généraliste. Si le phénomène est heureusement très rare, on recense tout de même chaque année des dizaines de cas d’oublis de matériel opératoire dans le corps de patients à la suite d’interventions chirurgicales.

Dans de telles hypothèses, les victimes cherchent alors à être indemnisées de leurs préjudices et souhaitent ainsi engager la responsabilité de l’établissement de santé et/ou du professionnel de santé qu’ils estiment fautifs.

Il convient de rappeler que la responsabilité médicale des professionnels et établissements de santé est régie par la loi du 4 mars 2002 dite loi Kouchner qui figure désormais dans le code de la santé publique.

Ainsi, l’article L.1142 du code de la santé publique prévoit que les professionnels de santé ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.

Un patient qui souhaite engager la responsabilité d’un professionnel de santé doit donc prouver une faute du praticien en lien de causalité avec son préjudice.

2) Qu’en est-il alors de l’oubli de matériel opératoire dans le corps d’un patient ?

De manière générale, il ressort le plus souvent de la jurisprudence, tant en matière civile qu’en matière administrative, que l’oubli de corps étrangers constitue une faute du chirurgien engageant sa responsabilité.

En matière civile, la jurisprudence a très tôt posé que le chirurgien est responsable en cas d'oubli de corps étrangers dans le corps du patient (Cass. 1re civ., 6 mai 1959, D. 1960. Somm. 24. ; Cass. 1re civ., 28 oct. 1968, D. 1969. 150 ; Cass. 1re civ., 26 janv. 1972, Bull. civ. I, n° 30).

En effet, un tel oubli constitue une faute caractérisée de négligence qui engage le plus souvent la responsabilité de son auteur (Cass. 1re civ., 3 oct. 1995, n° 93-18.246).

De la même manière, le juge administratif retient une faute en cas d'oubli par le chirurgien de champs opératoires dans le corps du malade (CE, sect., 12 juin 1953, AP Paris c/ Dame Baty ; CE 13 oct. 1965, Impagliazzo ; CE 8 janv. 1982, Moulet).

Concernant le matériel opératoire en cause, les exemples jurisprudentiels sont nombreux, allant de l’oubli d’une pince métallique (CAA Paris, 14 mars 1989, n° 89PA00073) à l’oubli d’une aiguille qui s’est brisée lors de l’intervention (Cass. 1re civ., 28 oct. 1968, Bull. civ. I, , n° 249), en passant par les hypothèses les plus fréquentes d’oubli de compresses (CAA Versailles, 26 mai 2009, n° 07VE03092 ; Lyon, 12 oct. 2010, n° 08/05697).

La jurisprudence rejette, sauf cas exceptionnels liés à la complexité de l’intervention, tout aléa thérapeutique dans de telles hypothèses, puisque l’aléa est un dommage qui ne peut être imputé à un professionnel de santé.

L’oubli de matériel opératoire dans le corps d’un patient est ainsi en règle générale imputable au professionnel de santé et constitue le plus souvent une faute engageant sa responsabilité (Poitiers, 9 novembre 2011, n° 10/01103).

La cour administrative d’appel de Marseille a récemment eu à se pencher sur une hypothèse un peu différente : en l’espèce, le chirurgien s’était rendu compte de la perte d’un fragment d’aiguille lors de l’opération mais n’avait pas réussi à retrouver l’aiguille et avait donc décidé d’abandonner le matériel opératoire dans le corps du patient. Il avait également échoué à retrouver l’aiguille lors d’une réintervention dédiée à cet effet.

La cour administrative d’appel a jugé que l’hôpital s’est rendu coupable d’une faute au motif que le praticien n’avait pas su retrouver l’aiguille et n’avait pas utilisé tous les moyens adéquats pour ce faire, tant lors de l’opération initiale que lors de la réintervention. Selon la cour, cette double carence est fautive et engage donc la responsabilité de l’hôpital (CAA Marseille, 5 déc. 2013, n° 11MA02053).

Par ailleurs, il convient de noter que la victime peut également engager la responsabilité pénale du praticien devant les juridictions répressives. Toutefois, la responsabilité pénale est plus délicate à mettre en œuvre, puisqu’il faut démontrer qu’une infraction a été commise (violences involontaires, homicide involontaire…). De plus, on observe un mouvement de dépénalisation notamment avec la loi du 10 juillet 2000 : ainsi les fautes les moins graves en relation indirecte avec le dommage ne sont plus sanctionnées pénalement.

En conclusion, le professionnel de santé qui oublie du matériel opératoire dans le corps d’un patient se rend coupable d’une négligence fautive et doit ainsi réparer les conséquences dommageables de cette faute. Sa responsabilité peut être engagée sur le plan civil ou administratif (s’agissant des hôpitaux publics), mais également sur le plan pénal pour les oublis les plus grossiers.

La multiplication des actions en responsabilité a conduit les assureurs et les autorités de santé à préconiser des protocoles de plus en plus rigoureux au bloc opératoire, prévoyant notamment le comptage des dispositifs médicaux. Toutefois, ces initiatives ne se traduisent pas encore par une baisse du contentieux…

Maître Aurélie VINCENT, avocat Nice

Références citées dans cet article

(1) Le¨Parisien du 20 décembre 2013 :

http://www.leparisien.fr/laparisienne/societe/video-rouen-un-chirurgien-oublie-une-pince-dans-le-ventre-d-une-jeune-maman-20-12-2013-3427321.php